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La mise à mal du code des marchés publics MEDIAPART 30 septembre 2020

La mise à mal du code des marchés publics

Le gouvernement n’avait pas osé s’y attaquer dans la première mouture de son projet de loi présenté au Sénat en mars. Mais la crise économique et sociale provoquée par la pandémie de Covid-19 a fait sauter les dernières réserves : toutes les digues sont rompues. Au nom du « plan de relance », il faut savoir « libérer les énergies », supprimer toutes les entraves, selon le gouvernement. Et cela commence par une attaque en règle contre le code des marchés publics. Un des garde-fous assurant une certaine concurrence et une certaine transparence dans les opérations publiques.

Dès le 14 septembre, le ministre des finances, Bruno Le Maire, s’était prononcé en faveur d’une révision lors d’une réunion avec les différentes fédérations du BTP (FFB, CAPEB, FNTP, la CNATP) à Bercy. Ses désirs avaient déjà été mis à exécution. Le rapporteur du projet de loi, Guillaume Kasbarian, s’était déjà prononcé en faveur d’un relèvement des seuils qui imposent des appels d’offres dans les marchés publics. « C’est une mesure de simplification qui est attendue par les élus locaux, et qui, dans un contexte de relance, permettrait d’accélérer grandement les travaux du BTP », a-t-il expliqué.

Voilà le prétexte idéal pour cacher un mouvement inavouable de fond. Le seuil qui impose le recours à des appels d’offres n’a cessé d’être relevé au cours des dernières années. De 4 000 euros, il est passé à 25 000 en 2011. En décembre 2019, ce dernier est monté à 40 000 euros sous l’impulsion de Sébastien Lecornu, alors ministre chargé des collectivités territoriales et d’Agnès Pannier-Runacher, alors secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.

Multipliant les réunions avec les représentants du secteur, cette dernière est parvenue en juillet à faire passer un décret portant le seuil à 70 000 euros. Cette exemption était censée ne durer qu’un an. Deux mois après, le gouvernement se remet à l’ouvrage. Aucun chiffre n’est inscrit dans le projet de loi. Mais selon les déclarations du rapporteur, un nouveau décret devrait être pris assez vite pour porter le seuil d’exemption à 100 000 euros. La mesure, assure-t-on, devrait ne durer que deux ans, le temps de répondre au plan de relance. Mais au rythme où le gouvernement dynamite le code des marchés publics, il y a tout lieu de s’interroger.

Car une autre procédure devrait s’y ajouter. Par le biais d’un amendement déposé courant septembre, le gouvernement souhaite étendre la possibilité de passer des marchés publics sans publicité ni mise en concurrence préalable, quel qu’en soit le montant. Dans son exposé des motifs, il rappelle que cette possibilité de contracter de gré à gré existe déjà dans le cas d’appel d’offres infructueux ou d’urgence.

Mais il convient, selon lui, d’y ajouter « les motifs liés à l’intérêt général ». « Il devrait notamment permettre de renforcer le tissu économique des territoires en facilitant la conclusion des marchés avec des PME qui n’ont souvent pas les moyens techniques et humains pour s’engager dans une mise en concurrence. »

Que faut-il entendre par intérêt général ? Le gouvernement se garde bien de le préciser. La notion est si floue, si large qu’elle peut permettre tous les contournements. Demain, le gouvernement pourra décréter que les chantiers du Grand Paris ou des Jeux olympiques qui lui tiennent tant à cœur relèvent de l’intérêt général. Le risque est grand que ce soit des millions d’argent public qui soient engagés sans publicité, sans concurrence, sans contrôle. Pour le seul bénéfice des grands groupes du BTP et autres. Car les PME ne sont qu’un prétexte dans ce projet.

Dès l’annonce de ce dispositif, Anticor et Transparency International ont fait des mises en garde publiques contre ce projet allant à l’encontre de toutes les règles de transparence et de contrôle, tant il donne le sentiment d’un retour à des décennies en arrière dans la lutte contre la corruption de la vie publique. « L’ajout de cette référence – très large – à “l’intérêt général”, qui devra être précisée par décret en Conseil d’État, pourrait faciliter la signature de contrats opaques avec une dimension clientéliste ou même d’enrichissement personnel et pourrait exposer également des acheteurs publics de bonne foi à une condamnation pour favoritisme en cas de lecture restrictive de la notion d’intérêt général par un juge », prévient Anticor.

D’autant que le gouvernement a exclu de mettre des conditionnalités pour se prémunir contre les conflits d’intérêts, comme il en existe pour les fonds européens.

Passant outre tous ces engagements sur la moralisation de la vie publique, le gouvernement paraît prêt aussi à balayer un des piliers du droit européen. La transparence, la mise en concurrence, la garantie à un accès équitable aux marchés publics, figurent dans les règles d’or du marché unique européen. « Il n’y a même pas eu une analyse juridique pour savoir si cette disposition est en conformité avec le droit communautaire. Lorsque j’ai posé la question, il m’a été répondu que les services juridiques de Bercy l’avaient fait. Mais le gouvernement ne nous a pas communiqué leur rapport », raconte Émilie Cariou.

Article publié le 2 octobre 2020.


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